mardi 30 novembre 2010

A la direction générale des rêves.



Dossier DRAC, dossier Région, dossier Département, dossier ADAMI, SACD, SACEM, dossier Ville, dossier CNC, dossier pour x ou pour y, dossier au-cas-où, dossier Coproducteurs, Partenaires, simples aides, dossier banques, dossier Assemblée Générale, dossier Préfecture, dossier circonstanciels ou de l'association et dossier Commande d'Etat, le dernier, en date, le dernier à peser, mais ce n'est qu'une question de style.

La vie des comédiens, musiciens, techniciens, plasticiens, danseurs ou autre ou autre est aussi une vie de papier. Papiers d'idées sur des choses parfois encore inexistantes et simplement projetés puisque dans deux ans à réaliser. Ce sont souvent même les premières idées arrêtés et mises en mots de spectacles ou d'argumentaires esthétiques. 
Étrange renversement, où la dimension financière (subventions et coproductions) se révèle l'ossature primordiale et primaire d'une création. Il s'agit du premier contact avec la réalité d'un spectacle à venir, l'idée de demi-sommeil à transformer en concrète scène d'imaginaires détaillés. Drôle d'alliage que le désir et le papier formaliste.

Chacun n'a pas une expérience identique  de cette partie de fabrication - puisque les musiciens par exemple ne connaissent que très peu ses fonctionnements - mais tous savent le temps, l'imagination, et l'énergie que cela demande. Une disponibilité d'esprit et pratique qui s'impose et qui s'interpose. Chaque dossier demande son argumentaire selon les objectifs et les missions assignés à telle ou telle institution ou structure, chaque dossier demande une vision, une connaissance de cette création, de ce numéro à venir pourtant juste pensé, à peine imaginé, pas encore élevé. Une gymnastique des intérêts et des pratiques, un jeu des chats et des souris.

Penser une musique qui ne sera construite que dans deux ans sur une création qui n'en est qu'aux prémisses, aux envies et aux intuitions est un exercice, non du mensonge, mais de la prospective, le sujet du possible en l'état des "recherches" ou des lubies sonores en cours. Une idée d'instrumentarium, des envies de pari, des tentations de changement, des développements possibles de petites choses déjà légèrement esquissés, accumulés, par çi par là, effleurés, touchés par l'inclinaison ou la libido du travail, l'amourette des caves (lieu d'expérimentations solitaire solidaire), les nuits réveillées ou l'intuition aux fenêtres entre ouvertes. 

Comme les accumulations* d'Arman, d'insignifiantes sensations peuvent se donner pour toute une vie. Partir d'un détail, d'une impression (une multiphonique*, une gamme, un désir de souffle continu (sacré Harry Carney qui surprend tout le monde * en fin - dés 2:30 - de Sophisticated Lady ! La tête d'Ellington à 3:14 vaut son pesant de cacahuètes) ou une incongruité de son*, la particularité d'un placement ou d'un défaut de saxophone, une couleur, une note, une obsession microscopique et sans perspective, un monde miniature), et ouvrir les horizons, en faire tout un plat, tout une Terre, un chez soi, une flagrance. "L'appétit"* de Steve Lacy. Ce n'est que plus tard que ce point de départ, ridicule d'épaisseur, se montre le socle de toute une perception. Il y à dans cette transformation - cette "création", ce big bang si simple si humain aussi - une beauté qui enlève et élève les esprits. Le monde revisité, redessiné, remis en selle par l'enfantin fait d'échafauder un dada.

Parfois, on pourrait finalement le penser, ces dossiers à remplir, ontologiquement froids lointains administratifs directifs exclusifs abscons et techniques, se présentent comme des aiguillons - involontaires - d'idées, des pousse au crime, des pas chiche pas cap, une proposition à y aller sans trop réfléchir et à ouvrir un chemin de création qui ne s'occupe pas des certitudes mais uniquement des soifs. Le saut de base, le base jump des tout débuts de spectacle, demande le sang froid fébrile et excité (et revoici l'oxymore réalisé) de s'appuyer sur une minuscule découverte intime pour sauter le pas et se lancer dans l'exploration des pôles et des territoires.

Les mots des papiers de spectacles à inventer ne sont alors plus seulement des mots en l'air. Les voici quasiment des supports de pensées, des architectures fertilisantes, une première tentative d'exister. Whop hop hop !


Arman

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