samedi 27 août 2011

Les histoires passagères n°3 : les flics.




Au début ça les avait fait marrer les flics de voir Georges Meunier se démener avec une telle embrouille. 
Gérard Meunier, ils le connaissaient bien, chacune de leur épouse ne jurait que par lui, ce faiseur de reine, l'homme à pieds, ce parangon du fétichisme, le king Nancéien des Christian Louboutin* et autres audaces, le cordonnier hors pair de chaussures hors normes, et patati et patata. 

Il avait débarqué essoufflé, rouge, les cheveux en vrac et la mine déconfite. Hagard, on aurait dit qu'il avait vu les martiens. 
Ça n'arrangeait pas son bégaiement ce stress et il fallu bien dix minutes avant de pouvoir saisir son histoire entre deux halètements pathétiques et trois phrases inachevées.
Le blog... photo de moi... volée... histoire de dingue... comme quoi ch'uis spécialiste en temps... puis plein de gens qui demandent de réparer leur temps... ch'ais pas trop quoi... trop de monde, pas de montre... d'un coup... de partout... vous avez l'heure... non j'ai pas l'heure... quoi comment... le temps c'est de l'argent... pas q'ça à faire moi... oui... allez faut partir... mais ils partaient pas... bien embêté maintenant... je sais plus quoi faire... ma boutique faut voir... c'est le Titanic... un cauchemar... faut partir s'il vous plait... on est plus chez soi... internet... l'Apocalypse... au secours... la tête me tourne... que fait la police ?

Son histoire était apparue vraiment décousue, et vraiment bizarre. Réparateur de temps, quelle drôle d'idée ! Georges Meunier n'allait pas bien, ça se voyait. Limite hallucinatoire.

Les deux fonctionnaires de l'ordre s'étaient regardés et d'un clin d'œil avaient décidés de boucler cette affaire en faisant semblant de l'écouter et en signant une main courante. Ça rassure toujours une main courante même si cela ne sert à rien. 
Un représentant de la loi est parfois comme un garagiste, ouvrir le capot et jeter un œil suffit souvent à réparer l'inquiétude en y collant le sceau d'une délégation de responsabilité. Si cela ne marche pas encore la prochaine fois on pourra toujours, à défaut de s'inquiéter de la panne, hurler contre le professionnel. 
C'est aussi leur boulot de prendre en main les impatiences, les irritations, les angoisses et autres exaspérations. Ils allègent comme au confessionnal les doutes et les angoisses de leurs clients obligés. Question de psychologie et de transfert approprié. Un bon "mmm..." et l'affaire est réglé - jusqu'à la prochaine.

Mais Gérard s'accrochait.

- "M'enfin ! Vous n'allez quand même pas laisser faire ! Vous allez bien envoyer quelqu'un pour l'empêcher de continuer ?". Il lui semblait capital que le zéro tolérance commença par son cas. A coup de flash-ball ou de coupure de tuyau à la Chinoise, il fallait que tout ceci cesse. Maintenant.

Les flics avaient beau lui expliquer qu'avec Internet on ne savait pas trop quoi faire (même l'Hadopi galérait lui confiait d'ailleurs le brigadier Bernard qui avait son fils dans l'équipe des informaticiens - d'autant plus que le serveur pouvait très bien se cacher aux iles Caïman, ou même en Corée du Nord), Gérard restait sourd. 
Les nouvelles technologies avait ouverts deux voix à côté du champs commercial, celle de la liberté libertaire et celle de la liberté on-comprend-quedal, ce qui revenait au même sauf pour ceux qui avaient les compétences de choisir leur camp. 
Alors ici, en France, à Nancy, pour Gérard Meunier, du Passage Bleu, on savait pas trop comment faire, on attendrait de voir, car c'était sur, tout cela décanterait au fil du temps, et des modes. Le temps numérique file à vitesse V.


Le sous-brigadier prit la photo (un scan couleur de ce blog) dans ses mains et demeura pensif.






Tout de même, tout ça pour ça. Pour une bête photo dans un blog. 

Alors, oui... c'est vrai, il y avait eu cette rumeur dont il avait bien entendu parler comme toute la ville, certes il y avait eu cet afflux incroyable de doux-dingues cherchant à "réparer leur temps", et oui, en effet, des attroupements étranges campaient au Passage Bleu - on parlait même de messes noires et de musique spectrale, mais malgré tout, il ne comprenait pas comment une telle publication, minuscule, avait pu engendrer tout ce tohu-bohu. La puissance des idées quand même.

Mais tout ceci passerait avec le temps.


Malheureusement, Gérard Meunier ne l'entendit pas de cette oreille. Il s'énerva, renversa des chaises, hurla, trépigna, essaya d'arracher la photographie du Président de la République qui trônait au dessus du bureau du chef - mais n'y parvint heureusement pas, manqua de s'étouffer en avalant la boite à trombone, envoya trois Bic comme des fléchettes sur la carte IGN de Meurthe-et-Moselle, puis contre tout attente, se mit à escalader le bureau de la secrétaire, nu, en gesticulant comme un moulin et en criant qu'il ferait l'esclandre de l'année jusqu'à ce que l'on s'occupe de son affaire. 
Bien sur, la surprise passée (Julie, la secrétaire resta quand même un certain temps bouche-bée, surtout pour le coup de l'homme nu sur son bureau), on le maitrisât et on le mit sans attendre en cellule de dégrisement, pour le refroidir. 

Par soucis de ne pas se mettre à dos les épouses on laissa cependant tomber les potentielles accusations... tout ceci aller s'arranger, on en avait vu d'autre, même si là, dit donc, la vache, le Gérard, il avait fait fort.



Puis, au petit matin, on le remit sur le perron du commissariat, et on lui suggéra d'aller dormir et d'attendre que tout ceci se calme. Non sans lui rappeler tout de même qu'il avait beaucoup de chance d'être a ce point aimé par les épouses - un autre que lui serait passé en "comparution immédiate", et là il aurait sentit le poids des vrais problèmes. Et de la justice.

Sur ce, les deux officiers fermèrent le sas, la lumière et disparurent.






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