Amandla! Amandla! [la foule répond: Ngawethu] [1] i-Afrika, [la foule répond: mayibuye!] [2]
Mes amis, camarades et compatriotes Sud-Africains [3], je vous salue tous au nom de la paix, de la démocratie et de la liberté pour tous [4]. Je suis ici devant vous non pas comme un prophète mais comme un humble serviteur du peuple [5]. Vos sacrifices inlassables et héroïques m’ont permis d'être ici aujourd'hui [6]. Je remets donc les dernières années de ma vie dans vos mains. En ce jour de ma libération, j’exprime ma gratitude sincère et chaleureuse aux millions de mes compatriotes et à ceux qui de tous les coins du monde ont fait campagne sans relâche pour ma libération [7].
Je salue tout particulièrement les habitants de Cape Town, ville qui a été ma demeure pendant trois décennies [8]. Vos manifestations de masse et d'autres formes de lutte ont été une source constante de force pour tous les prisonniers politiques [9].
Je salue l’African National Congress [10]. Il a rempli toutes nos attentes dans son rôle de leader de la grande marche vers la liberté
Je salue notre président, le camarade Oliver Tambo [11], qui a dirigé l'ANC dans les circonstances les plus difficiles.
Je salue les membres de base de l’ANC. Vous avez sacrifié vos vies et votre intégrité physique dans la poursuite de la noble cause de notre lutte.
Je salue les combattants de l’Umkhonto we Sizwe [12] […], qui ont payé le prix ultime pour la liberté de tous les Sud-Africains.
Je salue le Parti communiste sud-africain [13] pour sa contribution constante à la lutte pour la démocratie. Vous avez survécu à 40 ans de persécution implacable […]. Je salue le secrétaire général Joe Slovo [14], un de nos meilleurs patriotes […]. Je salue le United Democratic Front [15] […].
Je salue également le Black Sash [16] et la National Union of South African Students [17].
Nous notons avec fierté que vous avez agi comme la conscience des Sud-Africains blancs. Même pendant les jours les plus sombres de l'histoire de notre lutte, vous avez tenu haut le drapeau de la liberté. […] Je rends hommage aux nombreuses communautés religieuses [18] qui ont fait avancer la cause de la justice lorsque les organisations de notre peuple ont été réduites au silence. Je salue les chefs traditionnels de notre pays [19] […]. Je rends hommage aux héros infatigables de la jeunesse. Vous, les jeunes lions. Vous lesjeunes lions avez dynamisé toute notre lutte [20]. Je rends hommage aux mères, épouses et sœurs de notre nation. Vous êtes les fondations, dures comme la roche, de notre lutte. L’apartheid vous a infligé plus de douleurs qu’à n’importe qui d'autre. […]
Avant d'aller plus loin, je veux souligner que j'ai l'intention de ne faire que quelques observations préliminaires à ce stade. Je ferai une déclaration plus complète seulement après que j'aie eu l'occasion de consulter mes camarades [21]. Aujourd'hui, la majorité des Sud-Africains, noirs et blancs, reconnaît que l'apartheid n'a pas d'avenir [22]. Il doit y être mis un terme par des actions de masse décisives, afin de consolider la paix et la sécurité. Les campagnes de défiance massives et d'autres actions de nos organisations et du peuple ne peuvent qu’aboutir àl'instauration de la démocratie [23].
Les destructions causées par l'apartheid dans notre sous-continent [24] sont incalculables. Le tissu de la vie familiale de millions de personnes de mon peuple a été déchiré. Des millions de personnes sont sans maison et sans emploi. […]
Les facteurs qui ont motivé la lutte armée existent encore aujourd'hui. Nous n'avons pas d'autre choix que de continuer [25]. Nous exprimons l'espoir qu'un climat favorable à un règlement négocié [26] sera créé prochainement, de façon à rendre inutile la lutte armée [27].
Je suis un membre loyal et discipliné de l'African National Congress. Je suis donc entièrement d'accord avec l'ensemble de ses objectifs, ses stratégies et ses tactiques. […]
Je me sens le devoir de dire clairement qu’un chef du mouvement est quelqu’un qui a été élu démocratiquement lors d'une conférence nationale [28]. C'est un principe qui doit être respecté sans aucune exception.
Aujourd'hui, je tiens à vous dire que mes pourparlers avec le gouvernement ont visé à normaliser la situation politique dans le pays. Nous n'avons pas encore commencé à discuter des exigences fondamentales de la lutte [29]. Je tiens à souligner que je n'ai moi-même à aucun moment engagé de négociations sur l'avenir de notre pays, sauf pour insister sur une réunion entre l'ANC et le gouvernement.
M. de Klerk a fait plus que tout autre président nationaliste [30] en prenant des mesures concrètes pour normaliser la situation [31]. Cependant, il y a d'autres étapes […] qui doivent être remplies avant que les négociations sur les revendications fondamentales de notre peuple puissent commencer. Je réitère notre appel en faveur notamment de la levée immédiate de l'état d'urgence et de la libération de tous, et pas seulement certains, prisonniers politiques. […]
Les négociations sur le démantèlement de l'apartheid devront satisfaire la forte demande de notre peuple en faveur d’une Afrique du Sud démocratique, non raciale et unitaire [32]. Il faut mettre fin au monopole blanc sur le pouvoir politique. […]
Notre lutte a atteint un moment décisif. Nous appelons notre peuple à saisir ce moment pour que la transition vers la démocratie soit rapide et ininterrompue. Nous avons attendu trop longtemps pour notre liberté. Nous ne pouvons plus attendre. Il est temps à présent d'intensifier la lutte sur tous les fronts. Relâcher nos efforts maintenant serait une erreur que les générations à venir ne pourront pas pardonner. […] Nous appelons la communauté internationale à poursuivre la campagne pour isoler le régime d'apartheid [33]. Lever les sanctions maintenant ferait courir le risque de faire avorter le processus d'éradication totale de l'apartheid. […]
En conclusion, je tiens à aller à mes propres paroles lors de mon procès en 1964. Elles sont aussi vraies aujourd'hui qu'elles l'étaient alors. J'ai écrit: « J'ai combattu la domination blanche et j'ai combattu la domination noire. J'ai caressé l'idéal d'une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient ensemble en harmonie et dans l’égalité des chances. C'est un idéal pour lequel j'espère réaliser et connaître. Mais s'il le faut, c'est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir » [34]. [En xhosa : Mes amis, je n'ai pas de mots d'éloquence à offrir aujourd'hui sauf pour dire que le reste de mes jours est entre vos mains].
J'espère que vous vous disperserez avec discipline. Ne faites rien qui puisse faire dire à d’autres que nous ne savons pas contrôler notre propre peuple [35].
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