samedi 25 janvier 2014

Souvenirs de Paradou.





"C’est de là que je vous écris, ma porte grande ouverte, au bon soleil.
Un joli bois de pins tout étincelant de lumière dégringole devant moi
jusqu’au bas de la côte. À l’horizon, les Alpilles découpent leurs crêtes
fines… Pas de bruit… À peine, de loin en loin, un son de fifre, un
courlis, dans les lavandes, un grelot de mules sur la route… Tout ce
beau paysage provençal ne vit que par la lumière.
Et maintenant, comment voulez-vous que je le regrette, votre Paris
bruyant et noir ? Je suis si bien dans mon moulin ! C’est si bien le coin
que je cherchais, un petit coin parfumé et chaud, à mille lieues des
journaux, des fiacres, du brouillard !… Et que de jolies choses autour
de moi ! Il y a à peine huit jours que je suis installé, j’ai déjà la tête
bourrée d’impressions et de souvenirs… Tenez ! pas plus tard qu’hier
soir, j’ai assisté à la rentrée des troupeaux dans un mas
(une ferme) qui est au bas de la côte, et je vous jure que je ne donnerais pas ce
spectacle pour toutes les premières que vous avez eues à Paris cette semaine. Jugez plutôt.
Il faut vous dire qu’en Provence, c’est l’usage, quand viennent les
chaleurs, d’envoyer le bétail dans les Alpes. Bêtes et gens passent
cinq ou six mois là-haut, logés à la belle étoile, dans l’herbe jusqu’au
ventre ; puis, au premier frisson de l’automne, on redescend au
mas, et l’on revient brouter bourgeoisement les petites collines grises que par-
fume le romarin… Donc hier soir les troupeaux rentraient. Depuis le
matin, le portail attendait, ouvert à deux battants ; les bergeries étaient
pleines de paille fraîche. D’heure en heure on se disait : « Maintenant,
ils sont à Eyguières, maintenant au Paradou*. » Puis, tout à coup, vers le
soir, un grand cri : « Les voilà ! » et là-bas, au lointain, nous voyons le
troupeau s’avancer dans une gloire de poussière. Toute la route semble
marcher avec lui… Les vieux béliers viennent d’abord, la corne en
avant, l’air sauvage ; derrière eux le gros des moutons, les mères un
peu lasses, leurs nourrissons dans les pattes ; — les mules à pompons
rouges portant dans des paniers les agnelets d’un jour qu’elles bercent..."


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