vendredi 19 novembre 2010

Trouvetou et les fébrilités de la vraie vie.



Le proto-cinéma ou le signe d'un progrès exalté en marche. La révolution de l'image et de ses techniques d'inventeurs sans limites. Une soif scientifique, une fièvre, une frénésie empirique dans la machine et dans la géniale mécanique à illusions. Peut être aussi le sentiment d'une expédition féerique dans un futur accompagné par Jules Verne et l'effet phi.

1900, ou un peu avant, ou un peu après, les expériences du monde de demain en train de surgir, la radio, le périscope, le Zeppelin, le cellophane, le rasoir de sûreté King Camps Gillette, le métro parisien, l'aspirateur, le scooter et un peu avant, la fermeture éclair - c'est important quand on y pense.

1900, le siècle des sciences et de la Science surtout, cette foi dans le Progrès et ses bénéfices, dans l'invention et les merveilles qu'apportent les techniques. Tout va changer, il faut se lancer et trouver, inventer et innover, transformer la nature et mettre l'intelligence au service d'un nouveau monde. Les années 1900 et l'exposition universelle, la Tour Eiffel.

1900 ! Eau et gaz à tous les étages, et tout est possible !



Lanterne magique, Camera obscura, Thaumatrope, Phénakistiscope*, Zootrope*, mais surtout les projecteurs des débuts d'Edison et de Dickson (le Kinetographe et le Kinetoscope Peep Show movie machine), ou de Albert Kirchner (dit "Léar", et son Biographe Français), ou bien encore d'une myriade d'expériences d'inventeurs faisant sourire avec leur bestiaire d'instruments* aux noms exotiques et joliment loufoques : le Mutoscope, Eidoloscope, Phantoscope, Chronophotographe, Cinématographe, Vitascope, Petit professionnel, Zoopraxiscope, Théâtre optique, Electrotaschyscope, Theatrographe, Photo-rotoscope, Panoptikon, Mutagraph, Kinora, Kintetic camera, Kammatograph, Filoscope, Electrical Schnellseher, Cinéorama, Cieroscope, Birtac, Bioskop et le What the butler saw... Tout un monde mécanique de magie, d'artifice saccadé et de grand art qui lie inventions délirantes, prototypes et génies de garage, si tant est qu'il en existât à l'époque.
Le monde du cinéma est en marche, le monde de l'image est en train de se construire. Cette idée de progrès du XIXème ne peut que fasciner par le défoulement de ses changements, de ses exploits techniques. Une histoire des expérimentations à tout va, débridées et folles.


le zootrope


Il y dans l'air comme un bonheur enthousiaste des conquêtes intellectuelles ou scientifiques (et un air de malheur, Macao et Cosmage* et tant d'autres d'une humanité qui n'avait rien demandé l'ont subi). Un double jeu des réussites et des désastres, des exploits du progrès et du ravage des idées.
Mais le cinéma (comme la musique contemporaine qui arrive avec Varése* et Stravinsky, et le Jazz bientôt, bientôt) montre une face éclairé de cette frénésie palpitante des inventeurs et des Géo Trouvetou de l'époque*.




Quand aux lieux de projection, ils avaient aussi leur singularité. Le cinéma à fonctionné par capillarité, jouant dans les foires comme phénomène, les cafés, les parcs d'attractions, les laboratoires des inventeurs ou les appartements privés. Après tout, le cinéma n'existait pas encore... Mais très vite les salles ont émergées un peu partout et ce fut vite une affaire qui roule. Une industrie de diffusion issue des recherches lumineuses c'est rapidement mis en place. Et l'image de masse a pris sa place.
Finalement il ne reste plus que le cinéma expérimental à connaitre le sort des underground et des confidentiels.



Le cinéma expérimental et le cinéma érotique ! Le voici, le voilà le vrai sujet. Ces films licencieux et pleins de charmes indiscrets sont nés quelques mois après le cinéma, déjà rangé au rayon traditionnel, comme un écho évident de l'invention des images à fantasmes.
Eugène Pirou et Albert Kirchner les joyeux lurons à la recherche d'un spectaculaire (et lucratif sans doute) exploit de lumière. C'est leur collaboration avec Louise Willy qui donna ainsi le premier film érotique (un striptease un striptease).
Quelques minutes de pellicule orthochromatique en 1896 et le monde de l'érotisme bascula dans le souvenir d'images de corps fantasmés brillants d'envies.
Tous les inventeurs et ingénieurs de lumière de l'époque, armés de leur machines à peep show (ça ne s'invente pas), se sont rués sur le filon des striptease pour oser les risqué French films. A part les frères Lumières qui eux continuaient à jouer au train.

On peut penser que tous se connaissaient et se parlaient de leur avancées comme de leur loops* ou de leurs films clandestins. Un milieu artistique et scientifique, certes fêtards de vie devant soi, en synergie et en télescopage d'idées et de cœurs mais surtout avide d'expériences nouvelles, de révolution et d'expérimentations ingénieuses.




Dés le début du cinéma ce fut donc le début d'un autre cinéma, populaire aussi mais plein d'histoires secrètes. Le pendant des effets prodigieux* de Méliès* se retrouvait dans les mystères du mouvement des corps mise à nu et projetés - le désir ainsi approché, représenté, non résolu peut être mais dévoilé, recherché, c'est tout l'intérêt de ce nouvel érotisme qui vibre sur un drap blanc - des corps sublimés retravaillés, réifiés en beauté, magnifiés, totémisés (et pour le simple regard et l'art déshabillés) de personnages devenues icônes de dessous le manteau et de salles obscures et top secrètes.

café de la paix - 1900


En fait "Le coucher de la mariée", ce premier film au striptease art premier fut projeté au Café de la paix (avec un Joly-Normandin*) et n'était qu'érotique. Heureusement (...) la pornographie arriva vite fait, juste après le premier baiser*, ce qui est un peu dans l'ordre des choses, et au rythme des possibilités techniques, ce qui est quand même un peu frustrant. Puis la censure. Le coup du cobra ou de la douche écossaise, un classique.
Tout ce cinéma (X bien fringuant et sans remords, mais surement pas candide, plutôt attendrissant même puisque patiné d'ancien) devint fissa underground, interdit, secret, planqué, et distribué dans les milieux d'initiés ou les interlopes boui-bouis. La rigolade pour tous était terminé, on passait aux joies pour quelques uns.
Les voici d'ailleurs dans les lupanars luxueux (uniquement) de Paris, montrés comme des objets à l'érotisme spectaculaire et novateur. Une innovation à part, mariant le spectacle scientifique et l'art du nu ou l'art de l'imagination sexuelle la plus fascinante de vérité transfigurée - presque mystique.

Et le mouvement. Hypnotique et captivant.

Ces films - dans la droite ligne du courant "scènes grivoises à caractère piquant" - comme "L'écu d'or ou la bonne auberge" pour mémoire et autres et autres* chauffaient les salles d'attentes (qui étaient des lieux de tournages également) des maisons closes et des boxons de luxe. De nouvelles et extraordinaires lanternes animés aux noirs et blancs abimés.
Les clients patientaient en jouant aux cartes ou en regardant les premières fellations filmés et autre extraordinaires aventures des corps (on ne peut tout citer, l'époque fut inventive). Puis montaient voir Marguerite ou Louise ou Fleur ou leur préférée...





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Nom de code : Marguerite.


Mais Eugène Pirou et Louise Willy. Comment se sont-ils rencontrés ? L'une, actrice intelligente et belle, une banalité quotidienne mais tout de même ce corps gorgé de grâce affriolante, l'autre, jeune ingénieur sur le tas, inventeur de folies, passionné d'absinthe et de soirées aux airs de contrebande. Chacun une part d'ombre joyeuse et libre, chacun une passion au cœur de l'esprit. Le jeu de la comédie pour elle et la mécanique des lumières pour lui.

De cafés en lieux d'expositions d'Art (où on pouvait y voir les tableaux de Toulouse-Lautrec, un ami de la Bohème), tout le petit milieu des années folles se connaissait plus ou moins. On se croisait aux soirées d'alcool ou de discussions philosophiques des comptoirs tardifs de nuits de plaisirs et chacun côtoyait l'inventeur du cinéma, le musicien dans le vent, la vedette de carte postale érotique (que Pirou connaissait d'ailleurs bien puisqu'il les réalisait) ou un pseudo Baudelaire ivre de fée verte.
Et puis... les "maisons de rendez-vous" (les belles, les grandes, les incroyables, le Chabanais ou le One Two Two) mais pas si souvent, et finalement pour n'y voir que les décors extravagants et inventifs, car ces lieux respiraient la violence et tous en connaissait l'enfer caché.
Alors après tout, le lieu où cela se passait, c'était bien le Café de la paix dans le quartier de l'Opéra, un endroit hype mais habituel. Chagall, Maupassant et Zola en profitèrent un temps, mais l'important était que tous les artistes en mouvement y passaient. Les fêtes y étaient grandioses et les spectacles de dernière heure complétement invraisemblables.

Eugène Pirou et Louise Willy vivaient dans un monde d'argent, flambaient dés qu'il le pouvaient et se passionnaient pour les arts, les technologies chaque jours bouleversés, les inventions techniques, l'industrie du spectacle en effervescence et le monde révolutionnaire de l'image animé.
Louise Willy n'était ainsi pas qu'une simple actrice, elle visitait souvent les laboratoires de ces amis chercheurs et connaissait très bien et la photographie (elle posait déjà pour un ami d'Eugène, Alfred Kirchner dit "Léar") et les nouvelles techniques en cours de développement. Tous se demandaient ce que cela allait bien pouvoir donner...




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