jeudi 1 décembre 2011

Carnet de tournée - 1 (16h00-04h00 ou Nancy-Brest) : tonnerre de Brest ! La Carène, nous voici !

Changement d'angle. l'Extravagant Quotidien devient reporter le temps d'une tournée de Filiamotsa Soufflants Rhode. Histoire de peindre de l’intérieur le banal et l'extra de la vie d'un groupe de musique. 





Et voilà Filiamotsa Soufflants Rhode* on the road. Camion VW plein à craquer de la petite communauté des musiciens (3 garçons, 2 filles plus le sondier, plombier des db de concert) qui vont jouer, à La Carène*, à Brest, le 1 décembre.




Pour celui qui ne connait pas l'esprit des trajets c'est souvent une surprise de constater que finalement c'est tout un monde à part qui se recréé, avec son vocabulaire imagé, et abscons (bestiaire argotique d'initiés), ses histoires confidentielles et ses destinées mélangées - il faut voir, pour s'en saisir, les films "Tournée" et "La mer monte" à la description tellement vraie.
Partir en groupe c'est se couper de la réalité à coup de présent concret. Quelle soit longue ou courte (la virée), l'effet est le même, un détachement à la vitamine, un dopage d'existence et ce sentiment inestimable de remplir les journées à coup d'instantanés. L'éclat des secondes.




Mais en attendant les moments précieux d'une seule et unique et éphémère heure de scène, chacun tente sa solitude de groupe, plaisir paradoxal qui s'installe pendant les 11 heures de voyage en camion (départ de Nancy à 16h juste après la résidence "Desideria", arrivée à Brest vers 4h - c'est prévu, mais qui sait).



Jouer des coudes avec les proximités c'est parfois lire (La malédiction Hilliker de James Ellroy) en écoutant Obscured by clouds des Pink Floyd, quand pour d'autre c'est le visionnage d'un film, l'écriture anticipée d'un blog - si l'envie surgie et que la batterie du Mac suit, ce sont aussi les premières captations du futur film de tournée, les dialogues en direct sur Facebook mobile, les SMS, de ci, de là, les instants photographiques impossibles à manquer (tiens, et pourquoi pas une série sur les feux arrières de camion...), les discussions politique ou de futurs succès de perspectives ou de stratégies, ou le relais de conduite, les jeux chronophages (F-SIM Shuttle ou comment faire atterrir correctement la navette spatiale, ce planeur qui tombe comme un fer à repasser), la drôle d'activité impersonnelle des station-services que l'on connait si bien (à force, et pour un café "authentique" ou une gaufre de Liège), et cet état à nul autre pareil, comme un vol de nuit écrit par Saint Exupéry - les pensées qui se rassemblent tournoient et poussent à toucher ce qui conserve le passé, dans l'ambre doucement réveillée, la mémoire soulevée et les émotions imprimés.


 



Les envies, aussi, qui se dessinent, simplifiées par le temps et la tranquillité de la route. Lost in translation.

Etrangement, "la tournée" est un vol plané, on le sait, ça va arriver. Brinquebalés entre les restaurants les hôtels ou les attentes, précipités au milieu des balances, des sound-check ou des rencontres furtives d'une salle qui prépare sa soirée, tout se joue sans moteur et comme porté.
Un groupe ne fait qu'arriver. Il se sertie dans l'organisation des lieux et essaye de retrouver dans le fatras ce qui fait son unité. A chaque salle son défi. Celui de dénicher rapidement, solidement et "ici" le son de "Filiamotsa Soufflants Rhode".
Une formation musicale qui se construit sur l'alliage des personnalités et des timbres singuliers est une formation qui extrait la musique du "son". C'en est le grain, le parfum, la substance vivace et vivante. Retrouver l'énergie qui lie tout cela est une nécessité qui va au delà de la "note" et de l'exécution. Le son est une matière qui doit couler d'un savoir sans savoir, le résultat d'une expérience collective de musique. L'architecte des sensations.


Aucune tournée n'évite les exploits et les gamelles, les miracles et les acrobaties de dernière minute. Pourtant, que ce soit ceci ou cela qui ne marche plus, ou le son des retours devenu soudain si catastrophique, il existe toujours ce qui est poursuivi et ce qui fait courir, cet instant que l'on aimerait tant retrouver, ce je-ne-sais-quoi qui fait décoller au milieu des banalités techniques. Un rapport extatique à la matière acoustique, le sens d'une mystique ou ce présent chaud et vivant qui se construit.
Et pas très loin, ce sentiment de grandir, de pouvoir et d'aimer naviguer dans un territoire qui n'est pas la simple somme des musiciens, un pays encore inconnu de tous et qui s'extrait du temps et des contingences. Un cantique des quantiques, une extravagance immense issue du quotidien.


La nuit vient de s'effondrer sur le VW qui file vers Brest. Il n'est que 19:33, Pink Floyd n'en finit pas de jouer et l'écran sans connexion du computer d'Apple fait semblant de converser. Sans wifi, sans 3G (entre Nancy et Paris, il y à cette grande étendue de blé...on l'appel le grenier), la vie semble s'être arrêtée, drôle de dépendance à une sur-réalité virtuelle qui s'exprime dans une réalité aux allures tout aussi virtuelles. Les extra-territorialitées.




11 heures donc, et d'un coup le road trip prend toute son ampleur, et toute sa langueur.

Demain soir il faudra jouer, demain soir ou pourra plonger.


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